Juan de Nova
On a quitté Madagascar un peu au nord de Majunga. On a fait escale dans une île française, à quatre cents miles de là, ce qui nous a pris cinq jours : peu de vent, la mer mauvaise, du courant contraire : la galère.
Juan de Nova est une île de trois kilomètres de long sur un de large environ, entourée d’un lagon et d’une magnifique plage de sable très blanc. Jusqu’en 1961, cette île était donnée en concession à Mr Patureau pour exploiter le guano. Il recrutait ses ouvriers, jusqu’à trois cents, surtout à l’île Maurice. Il promettait le paradis à de pauvres bougres remplis de dettes et de problèmes. Il leur faisait vivre l’enfer. Il avait fait construire un quai, une voie de chemin de fer avec des wagonnets, des hangars, des cabanes pour les ouvriers et une belle maison pour lui. En 1961, les ouvriers se sont révoltés, il y a eu des morts, et Mr Patureau a demandé l’aide de l’armée française qui est venue à son secours quelques jours plus tard, depuis la Réunion. La révolte a été réprimée, mais l’état s’est rendu compte de la situation d’esclavage des ouvriers et a dédommagé Mr Patureau pour arrêter la concession. Joli coup pour lui, l’affaire n’était plus rentable.
Depuis, l’île est occupée par quarante militaires et un gendarme. Il y a une piste d’atterrissage qui permet à un avion militaire d’effectuer une relève tous les cinquante jours depuis la Réunion, à deux heures de vol. On a pris contact radio en arrivant, et le gendarme nous a autorisés à mouiller, mais nous a précisé qu’il est interdit de débarquer. Une heure plus tard, il nous appelle pour nous demander si nous avons des besoins, médicaments par exemple. On répond que l’on voudrait bien dix litres d’eau douce, et il nous invite à débarquer. Après vérification des passeports, le gendarme et le lieutenant chef de détachement militaire nous ont fait visiter l’île : le cimetière des gens tués pendant la rébellion, bien entretenu par l’armée, la maison du patron, ou ce qu'il en reste. Par contre, on nous a soigneusement fait éviter le camp militaire caché dans les arbres, et on ne nous a pas lâché d’une semelle : aurait-on des grandes oreilles dans ce coin ? On avait apporté un litre de pastis de Marseille fait à Madagascar, on est repartis avec des carottes, des noix de coco, des oranges et dix litres d’eau minérale : sympa les militaires. On est restés deux jours au mouillage devant l’île en attendant que le vent nous soit favorable. L’eau était claire, et à 27 degrés, ce qui a donné envie au mousse de se baigner. Pas longtemps, un vieux requin qui n’avait jamais vu un Blanc a décidé de venir l’observer. Le mousse n’osait pas remonter l’échelle, de peur que la bête lui prenne un bout de jambe. Finalement, le vieux requin s’est rendu compte qu’il existe des mets plus digestes et a laissé le
mousse.
mousse.