passage du canal de Suez

Publié le par ty mor

ty mor (47) 

Nous quittons la Crète et l'Europe le 23 octobre 2004 pour Port Saïd, l'entrée du canal de Suez, trois jours et trois nuits pour effectuer 417 miles. L'après midi du troisième jour, je me rends compte que l'on ne sera pas avant la nuit à Port Saïd. Or, les instructions nautiques déconseillent d'y entrer de nuit: trop de trafic et les feux du chenal sont difficiles à trouver dans les lumières de la ville. Je décide de faire escale dans un port situé une trentaine de miles plus à l'ouest, Damiette. C'est un port de commerce, je trouverai bien un coin pour jeter l'ancre une nuit. Entrés dans le port, que des quais avec des cargos ou pétroliers. La capitainerie m'appelle par radio: d'où venez-vous, où allez-vous. J'explique que je suis fatigué, que je veux mouiller l'ancre pour la nuit et partir le lendemain matin sans descendre à terre. On me demande le nom de mon agent. Je n'en ai pas, bien sûr, je réponds que je vais le prendre à Port Saïd. Refus catégorique, on m'interdit de rester là, je dois aller à Port Saïd. Grosse déception, on sort du port vers quatre heures de l'après midi, on a 35 miles à parcourir. Je n'ai pas envie de faire des ronds dans l'eau pour attendre le jour, on y va.

Arrivés dans le chenal, à quelques milles de l'entrée du canal, j'ai du mal à me situer exactement. Heureusement, la position GPS est juste. Mais on ne voit pas les feux des bouées dans les lumières de la ville, et, si on sort du chenal, on risque l'échouage. Je suis à la barre, dans le cockpit, l'ordinateur allumé avec Maxsea. J'essaie de me situer par rapport aux balises, quand un cargo me dépasse par tribord, à quelques mètres de moi: impressionnant. Lui, il a un pilote à bord et il rejoint le convoi pour descendre le canal. J'essaie de mettre un peu tribord juste derrière lui: pas le temps, un autre arrive aussitôt. Je le laisse passer par mon tribord, un autre nous croise au même moment, on est tout petit et lent entre ces monstres, ça fait peur. On arrive à s'approcher des bouées. Un quart d'heure plus tard, une vedette arrive en face de nous, nous braque deux gros projecteurs: je suis aveuglé, j'arrête. C'est un bateau pilote. Il stoppe à quelques mètres de nous. Un homme est sur le pont. Il me réclame du whisky. Même en anglais, on détecte l'accent arabe. Je n'ai pas de whisky, ou plutôt, je ne veux pas lui en donner. Il me réclame un bakchich. Je lui demande en quel honneur je dois lui donner quelque chose, est-ce qu'il va me guider jusqu'à la marina. Il me répond que je dois lui donner un bakchich parce que j'arrive. Je l'envoie sur les roses. Ils éteignent le projecteur et repartent à leur cargo. Je poursuis ma route en rasant les bouées. Les cargos me croisent et me dépassent toujours sans arrêt. On arrive en ville. On tourne au ralenti. Devant nous, des bacs traversent sans cesse. Je ne sais pas exactement où je dois aller. Sur notre tribord, un quai désert, séparé de la ville par un haut grillage. Je vais accoster pour la nuit, ce sera plus facile de trouver de jour. On est stoppés, on prépare nos pare battages quand une petite vedette nous approche: « Follow me » suivez moi, et de faire route sur la rive bâbord du canal. On était juste en face de ce qu'ils appellent la marina. Un endroit où l'on se met cul à quai et où l'on se fait secouer à chaque passage dans le canal, c'est à dire sans arrêt. A peine amarrés, il est onze heures du soir, les gens de la marina sont à bord. On nous propose un agent: Félix, le plus important et à peu près le seul maintenant. On nous prend nos passeports pour le visa et on me demande si j'ai besoin de quelque chose: il me faut 16O litres de gasoil et un pavillon égyptien. On mange et on se couche, mais vers minuit, on frappe: c'est nos passeports avec visas égyptiens. On se recouche, et une heure plus tard, on frappe: c'est le gasoil. Je leur exprime mon mécontentement, après cinq jours en mer, j'ai envie de dormir, mais ils répondent que pour eux, on travaille jour et nuit. D'ailleurs, ils me demandent si je veux passer le canal avec le convoi du lendemain matin. Non, je ne suis pas pressé, j'attendrai le jour suivant, maintenant je veux dormir!!! Ils me laissent donc en paix. Le lendemain, un bateau pilote accoste le ponton près du nôtre. Un homme en descend, regarde Ty Mor, sort un papier de sa poche, demande un crayon à un collègue et entreprend de dessiner nos superstructures. On m'a dit que le jaugeur devait passer pour évaluer notre bateau et savoir s'il pouvait nous autoriser à passer. Je pensais qu'il allait regarder l'état du moteur, car on doit être en mesure de naviguer à cinq noeuds au moteur pendant ces deux journées. Rien de tout cela, il m'a seulement demandé mon tirant d'eau. Il y a 19 mètres d'eau dans le canal, quelle importance. La longueur, utilisée en général pour établir un prix, çà ne l'intéresse pas. Après quelques minutes à nous regarder, il me demande si j'ai un cadeau. On m'avait prévenu que l'on nous réclamerait des paquets de Marlboro en guise de bakchich, je lui en offre une cartouche. Il refuse en me disant: « no, I want a present » non, je veux un cadeau. J'ai quelques jolis sweat-shirt, je lui en offre un qui semble lui plaire. Heureusement pour moi, j'ai compris plus tard qu'il décide du prix de façon complètement arbitraire, je pense en fonction de la valeur du cadeau. Une vedette à moteur de 15 mètres qui à passé quelques semaines avant nous n'a payé que deux cents dollars: le capitaine, un Luxembourgeois, à demandé à rencontrer le capitaine de la marina de Port Saïd en disant qu'il écrivait un livre sur le passage du canal de Suez. Un voilier de 12 mètres, une ou deux semaines après nous, a payé 1000 dollars: son bateau est neuf et le capitaine est tiré à quatre épingles. Pour nous, bateau de 10.50 mètres, on a payé 400 dollars.

Quelques heures plus tard, on vient me chercher: un guide doit m'emmener chez mon agent. Il est sur l'autre rive, en ville. Pour traverser, on prend le bac, gratuit. Ils sont une dizaine à faire des allers-retours incessants. En bas de l'immeuble, la limousine du patron. On est introduit dans des bureaux immenses et plus luxueux que tout ce que j'avais pu voir en France. Le patron me reçoit, m'offre le thé, m'explique comment va s'effectuer notre passage, avec pilote à bord. Il m'explique que les pilotes sont salariés, mais qu'il est de coutume de leur donner un billet à l'arrivée: pas plus de dix dollars. Il me présente la facture: la moitié pour le passage lui-même et l'autre moitié pour les services: agent, services sanitaires qui auraient dû nous contrôler, douane, visas. Pour ce prix là, on a droit à un cadeau: une chope pour moi et une bougie déco pour madame. Le pilote se présentera à bord le lendemain matin à neuf heures.

Le lendemain, à huit heures et demie, on est parés. Mais à neuf heures, à dix heures, à onze heures, toujours pas de pilote. Je suis un peu inquiet, mais le personnel de la marina me rassure: « il va arriver » Il arrive effectivement à onze heures et demie. Il réclame une cartouche de cigarettes pour l'équipage qui l'a amené. Je lui donne trois paquets, l'équipage me regarde de travers, tans pis. On largue immédiatement les amarres, et il me dit: 

«  vitesse à sept noeuds, je prends la barre »

« prends la barre si tu veux, mais la vitesse sera cinq noeuds, le règlement du canal n'exige pas plus »

«  si on ne fait que cinq noeuds, on n'arrivera pas avant la nuit » .

«  ce n'est pas grave, je ne suis pas pressé » .

- oui mais la police risque de nous arrêter avant Ismalia.
«  pour moi ça ne pose pas de problème ».

«  oui mais moi je veux rentrer ce soir ».

«  Il fallait partir plus tôt ce matin ».

« J'avais autre chose à faire ».

Et, pendant cette conversation, il pousse la manette des gaz à fond. Je réduis aussitôt et règle soigneusement la vitesse à cinq noeuds, en lui disant: «  si le moteur casse, c'est moi qui paie, c'est moi qui aurai les problèmes, et on arrivera encore plus tard, alors, ne touche pas à cette manette. Il me fait la gueule, il essaie une nouvelle fois une heure plus tard alors que je suis descendu dans le carré, je le rappelle une nouvelle fois à l'ordre, puis il a compris, tout ce passe bien.

On arrive effectivement à Ismalia alors que la nuit est tombée depuis une heure. D'un seul coup, j'entends crier en arabe derrière nous. Le pilote ne réagit pas. Je coupe les gaz et lui demande ce qui se passe. Il appelle en arabe, on lui répond, puis je vois approcher une petite barque avec deux hommes. Ils étaient en train de poser un filet, sans lumière, et on a pris leur bouée dans l'hélice, on est en train de les remorquer. Le pilote me demande un couteau, descend dans la jupe et coupe leur orin derrière nous, quelques minutes plus tard, on est amarré.

On descend le canal de Suez, 190 kilomètres en deux jours. Il n'y a pas d'écluse, la mer Rouge et la mer Méditerranée sont au même niveau. Les cargos, porte-containers et autres gros bateaux passent en convoi, une fois par jour. Environ 80 bateaux dans un convoi. Mais nous, les petits bateaux, nous passons hors convoi, avec un pilote à bord. Tous les quatre ou cinq kilomètres, un poste militaire de contrôle. Le pilote annonce en arabe son nom et le nom du bateau. Les militaires vérifient leur liste; si l'on est prévu pour le passage du jour, pas de problème. On croise un convoi, on se trouve à quelques dizaines de mètres des monstres, porte containers contenant l'équivalent de plus de mille remorques de camions.

Arrivés à la sortie du canal, à Suez, on reste une semaine, le temps de se familiariser avec l'Égypte. Dans cette ville, pas de touristes, mais on est frappés par la pauvreté. Dans certains quartiers, on n'ose pas sortir l'appareil photo, on a l'impression de ne pas être à notre place, on est gênés. On nous interdit beaucoup, d'ailleurs, de prendre des photos.

On navigue enfin en mer Rouge. Premier mouillage devant une plage de rêve, près d'un hôtel désert, côté Sinaï: on arrive quelques mois après l'explosion d'une bombe dans un hôtel, à quelques centaines de kilomètres de là. Premier bain en mer Rouge, dans une eau à 27 degrés, on est le 9 novembre. Après une navigation de 24 heures, on arrive enfin dans une marina super moderne, à El Gouna, ville de touristes bâtie quelques années plus tôt, à 30 kilomètres au nord de Hurgada. Le bateau restera là six mois. Pendant quatre mois on visite: les bords du Nil, le temple de Karnac, Le Caire, les pyramides, safari dans le désert, le programme est chargé. Entre deux visites, plongée sur le platier, découverte des premières patates de corail, des poissons tropicaux. D'autres bateaux hivernent là: un couple d'Anglais, un couple de Belges, un couple d'Allemands. Réveillon de Noël sur le bateau anglais, réveillon du jour de l'an sur le nôtre, bonne ambiance: les carrés sont un peu juste pour huit personnes, mais on se serre. On parle beaucoup anglais, un peu français. Pendant deux mois, on quitte le bord et on prend l'avion pour la France, où l'on va rendre visite aux enfants et à la famille.ty mor (43)

 

Publié dans voyage

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